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Les chutneys, c’est toute l’année en épicerie fine.

Longtemps réservés aux tables des restaurants exotiques, les chutneys ont fait leur entrée dans les épiceries fines et les cuisines de tout à chacun au début des années 1990.

Qu’on les nomme « chutney » un peu partout dans le monde, « chatini » comme à la Réunion et à l’île Maurice ou « chatni » à l’indienne, il s’agit d’une pâte d’ingrédients frais préparée à l’origine pour accompagner les repas. D’aucuns disent que certains ingrédients sont indispensables, mais il existe autant de recettes que de cuisiniers. La version la plus répandue aujourd’hui, héritage direct de l’empire britannique, est plutôt une marmelade aigre-douce à base de fruits et/ou de légumes, d’épices, de vinaigre et de sucre, sans la bonne dose de piment habituellement utilisée dans les préparations traditionnelles. Ce savant mélange confère à ce produit une saveur originale et d’excellentes capacités de conservation. Introduit par les officiers de la Compagnie des Indes orientales en congé dans la mère patrie, le chutney est apparu en Europe à la fin du XVIIIe siècle. Et si nos voisins britanniques apprécient depuis longtemps ces saveurs aigres-douces, il nous aura fallu du temps pour nous laisser séduire.

Des associations plus nombreuses qu’on ne l’imagine

Portés par l’émergence de la World Food, les chutneys ont pourtant réussi à se faire une place à part entière sur les étagères des épiceries fines. Conditionnés en petits pots de verre, ils apportent une jolie touche de couleur et, posés à côté de la caisse, peuvent constituer un petit achat coup de cœur. Reste à convaincre les consommateurs qu’ils ne sont pas uniquement réservés aux tables de fêtes en accompagnement du foie gras. Ainsi, le traditionnel chutney de figue se marie très bien avec un plateau de fromages ou une viande blanche rôtie. Idem pour les chutneys associant la cerise griotte et des épices comme le carvi qui peuvent aisément remplacer la traditionnelle confiture de cerises noires servie avec une tomme de brebis ou souligner le goût d’un magret grillé. En fait « tout est histoire d’imagination » comme le souligne le chef franco-mauricien Antoine Heerah. Pour lui, les chutneys peuvent être élaborés avec quasiment tous les fruits et légumes : du concombre pour accompagner des seiches grillées, des cèpes avec un petit gibier à plumes ou tout simplement des tomates pour souligner le goût délicat d’un maquereau en beignet…

Très courant dans la cuisine indienne, le chutney mangue-gingembre (assez épicé car préparé avec du piment vert) permet de twister un poisson blanc poché, du poulet rôti et bien évidemment, accompagne à merveille un curry doux pour que chaque convive ajoute la bonne dose de piment.

Les palais français à évangéliser

Si les consommateurs français ont pris l’habitude de voir ces petits pots sur les étagères des boutiques, ils n’ont en revanche guère d’imagination pour leur utilisation. Ce qui a d’ailleurs conduit plusieurs maisons à réduire leur gamme de chutneys. Les épiciers fins ont donc un véritable rôle pédagogique à jouer pour faire sortir ces condiments de leur seule utilisation sur les tables de fêtes comme compagnon du foie gras. En petites touches, ils peuvent transformer un club sandwich ou un hamburger maison en plat original. Associés à du magret séché, du fromage et des fruits, les chutneys permettent de composer des canapés qui sortent de l’ordinaire. Ou encore, pourquoi ne pas associer un chutney de figue à une farce fine pour transformer volaille et rôti de viande blanche en surprise gustative ? À moins de préférer déglacer la sauce d’accompagnement des gambas. Puisqu’on vous dit que les utilisations des différents chutneys n’ont pour limite que l’imagination de celui qui fait la cuisine !

Des recettes créatives

Pour sortir des sentiers battus, certaines maisons n’hésitent d’ailleurs pas à bousculer les codes et à imaginer de nouvelles recettes pour un public plus aventureux gustativement. On trouve ainsi un chutney pomme, citron vert et basilic à la grande puissance aromatique pour réveiller un rôti de porc, ou encore un chutney aubergine, oignon et raisin à la légère amertume qui se déguste avec une terrine de légumes ou plus simplement, des rillettes. Quant au chutney de betterave, il transformera un fromage de chèvre frais. Les amateurs de saveurs plus franches apprécieront aussi un chutney ananas agrume, véritable tour du monde aromatique en une simple cuillerée… En version luxe, on les trouve alors plus élégants, comme à la truffe noire du Périgord pour sublimer de bonnes pommes de terre simplement cuites à la vapeur.

Sur la table des grands chefs

Les plus grands chefs n’hésitent d’ailleurs plus à utiliser ces condiments. Le très médiatique Gordon Ramsay (triplement étoilé pour son restaurant éponyme de Londres) accompagne ainsi plusieurs de ses plats signatures de chutneys. Plus près de nous, Jérôme Bansard, chef du Pavé d’Auge à Beuvron-sur-Auge, propose un plat mariant camembert de Normandie et chutney aux pommes pour une recette 100 % locale. Christian Pilloud, du restaurant Mon Plaisir à Chamesol dans le Doubs, préfère réunir saucisse de Montbéliard et chutney d’abricots secs. Tout est donc possible, d’autant que le côté sucré-salé du condiment permet des associations qui pourraient paraître osées, mais font le bonheur des gourmets. Pour mieux vendre ce type de produits, il faut donc que les épiciers fins soient bien formés, c’est du moins ce que pense Benoit Gandon, créateur de L’Épicurien. « Nos commerciaux ont été formés pour transmettre les bonnes informations à leurs clients, pas seulement pour leur vendre des produits. C’est un cercle vertueux : bien informés, les épiciers sont plus aptes à donner les bons conseils à leurs clients, à les rassurer sur les provenances des ingrédients. Mais surtout, au-delà de ce point, pour mettre en scène les produits et donner des conseils de dégustation et recettes. Nous sommes sur des produits gastronomiques, il faut donc expliquer comment utiliser les chutneys en gastronomie. » Et d’insister : « chacun s’éclate plus dans son travail en faisant ça ! »

“Les clients viennent souvent en me disant : voilà le plat que je compte faire.
Avec quel chutney l’associeriez-vous ?
Il est important d’être gourmand ! Cela aide pour conseiller !”

Alexandra Lepage, cofondatrice de l’épicerie Papa Sapiens

Une dégustation qui booste les ventes

Et pour convaincre les clients dubitatifs, rien de tel que de faire goûter. À Paris, l’épicerie Papa Sapiens propose ainsi régulièrement des dégustations des dernières nouveautés, comme ce chutney d’échalion (ou échalote cuisse de poulet) à la crème de cassis et au citron confit qu’a déniché Alexandra Lepage, cofondatrice de l’enseigne parisienne. « J’adore ce produit sucré-salé dont la note acidulée apporte une touche discrète mais perçante » explique la jeune femme. Pour faire partager son engouement, elle n’hésite pas le proposer à la dégustation, bien sûr pendant les fêtes mais aussi tout au long de l’année. « L’un des arguments de vente, au-delà de la qualité gustative du produit, est de mettre en avant le producteur, d’expliquer comment ce chutney est réalisé, avec quelle qualité de produit. Les clients aiment connaître la petite histoire de chaque produit que nous proposons », ajoute Alexandra Lepage. Et c’est donc tout naturellement qu’elle en profite pour proposer des alliances avec des mets de tous les jours : viandes blanches (filet mignon de porc, côte de veau, pintade rôtie) et des fromages affinés (tome de Beaufort, comté, roquefort et parmesan). 

Béatrice Delamotte

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