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Le piment d’Espelette, ardent et délicat

Sur la route de Saint-Jean-Pied-de-Port, le petit village d’Espelette a donné son nom à une variété de piments qui ornent à l’automne les balcons des maisons ou bien achèvent leur maturation au soleil, en passant du vermillon au carmin. C’est le signe avant-coureur du passage prochain des vols de palombes sur les cols pyrénéens de la Haute Soule.

Dans les fermes encore, on fabrique le fromage traditionnel (ardi-gasna obtenu à partir du lait cru des brebis « latxa »). Le porc ibérique élevé en liberté est dans toute sa splendeur. Le Pays basque voue un culte au cochon bien élevé : côtelettes, jambons, ventrèche, c’est là l’excellence de la charcuterie, qui est l’un des atouts singuliers de la cuisine basque. Les fèves, les choux, l’ail, le piment semblent cultivés pour accommoder le porc !

Même si 2013 fut une année noire pour le piment d’Espelette avec, en raison des données climatiques, une récolte très inférieure à celle des années précédentes, cette année s’annonce meilleure. Les semis effectués sous serre en mars devraient bénéficier des bienfaits du soleil de mai, une fois replantés en pleine terre. Au mois de juillet, chacun, parmi les 160 producteurs des dix villages autour d’Espelette, guettera le passage du vert au rouge, indice précieux de la maturité du seul piment qui, en France, bénéficie d’une A.O.C. (appellation d’origine contrôlée) depuis 1999. La récolte de cette solanacée, découverte en 1493 par le Dr Chanca, médecin de l’expédition de Christophe Colomb, de la même famille que la tomate, commence à la mi-août et se poursuit jusqu’aux premières gelées.

Le piment pousse sur de petites parcelles à flancs de montagne et de colline, au creux de profondes vallées, dans le domaine enchanté des herbes, des baies et du miel. Le fruit, conique, de sept à quatorze centimètres, apparaît par floraisons successives de la plante.

Il lui faut un climat doux, chaud et pas trop humide. Après la récolte – manuelle – il sèche à l’air libre de façon traditionnelle sur les murs des maisons exposés au sud ou plus généralement sur des clayettes sous serres. La déshydratation lente permet le développement harmonieux des arômes.

L’originalité du piment d’Espelette réside dans la combinaison d’une certaine chaleur piquante associée à des arômes de foin séché, de pain grillé ou de tomate mûre, parfois avec des notes sucrées ou bien légèrement amères. Voilà pourquoi « il fait danser les filles », observait Curnonsky. Le piquant est progressif, jamais violent, à la différence de la plupart des autres variétés de piments. Dans l’échelle de Scoville (établie à Détroit en 1912 par le pharmacologue Wilbur Scoville), qui est au piment ce que l’échelle de Richter est aux séismes, le piment d’Espelette comme le poivre figure seulement en 4e classe sur dix, en raison de sa faible teneur en capsaïcine. Il est qualifié de chaud, loin derrière le piment de Cayenne (classe 6), réputé ardent, ou bien d’autres variétés de capsicum annuum L., brûlantes, torrides, volcaniques ou explosives, tel le habanero des Antilles.

Le piment d’Espelette est indissociable des plats de la cuisine basque : piperade, axoa (ragoût de veau) et boudin que le grand cuisinier Christian Parra a fait connaître dans la France entière. En poudre, son usage est comparable à celui du poivre. Il parfume les pâtés des charcutiers d’Hasparren. A Cambo-les-Bains, on en fait une moutarde qui transforme votre mayonnaise en bayonnaise !

En gelée, le piment d’Espelette agrémente les toasts de foie gras. Dans les épiceries fines, on le trouve aussi en purée, en huile parfumée, au vinaigre, ou encore entier, en de gracieux chapelets liés par une corde. Chaque conditionnement de Ezpeletako biperra (son nom basque) doit mentionner l’A.O.C. pour ne pas le confondre avec un piment ordinaire du Pays basque ou d’ailleurs.

Jean-Claude Ribaut

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