Épicerie fine : Un concept évolutif ?

Attractive, courtisée, copiée et parfois même réinventée, l’épicerie fine n’en finit pas d’attirer de nouveaux candidats. Essentiellement des passionnés en quête d’absolu. Entre rêve et réalité, Le Monde de l’Épicerie Fine fait le point sur les nouvelles tendances.

Qu’est-ce qu’une épicerie fine ? D’apparence simple, la question s’avère bien plus complexe tant l’appellation ne cesse d’être revendiquée. Entre le commerçant traditionnel surfant entre l’épicerie sèche haut de gamme et une sélection courte de produits frais premium, les commerces spécialisés autour d’un produit phare ou d’un territoire, les épiceries chics qui réinventent l’alimentation générale sur des principes qualitatifs pointus comme les circuits courts, les épiceries de chefs et les boutiques de marque qui mettent en scène leur propre univers : plus que jamais multiple, le petit monde de l’épicerie fine ne cesse de s’élargir. D’autant que viennent désormais se greffer à cette belle famille, des commerces qui conjuguent les métiers : petite restauration, rayon bien-être, cave, torréfaction… Quand ce n’est pas carrément des « places de marché » qui s’inventent sur le modèle des Halles d’autrefois en regroupant différents commerces de bouche.

Le Marché Saint-Victor à Marseille – Ces halles d’un nouveau genre, Jérémy Depieds en rêvait depuis 2003. À cette époque, il vit à Madrid et il ne se passe pas une journée sans qu’il se rende au Mercado San Miguel. « J’étais attiré par la qualité que proposaient les commerces de bouche regroupés dans cet espace dit-il, fasciné par la convivialité et l’authenticité qui s’en dégageaient. »

De retour à Marseille, il n’a qu’une idée en tête : créer un lieu identique. Et c’est naturellement du côté des Docks qu’il commence sa prospection, jusqu’au jour où il apprend qu’un fleuriste met en vente sa boutique à deux pas de l’abbaye Saint-Victor, haut lieu du tourisme phocéen, bien loin des Docks. L’espace qui permet de dégager près de 200 m2 correspond à ce qu’il attend, le quartier aussi bien fréquenté par des Marseillais que des visiteurs semble adapté : il décide, avec l’aide de quelques amis, d’acheter le fonds de commerce… et les murs. « Acheter les murs était indispensable précise-t-il, car il aurait été beaucoup trop complexe de sous-louer des espaces. » Aidé de son comptable et d’un avocat, il met donc sur le papier les bases de son projet : Le Marché Saint-Victor. « L’idée directrice était que l’on puisse y trouver de bons produits, au juste prix, à consommer sur place ou à emporter. » La surface est divisée en sept lots dont six vont être revendus en propriétés commerciales ; le septième lot étant utilisé comme espace commun, garant de la convivialité.

« La difficulté, analyse Jérémy Depieds, ne réside pas dans la mise en place de ce système qui réunit des indépendants, mais dans sa cohésion, l’esprit que l’on va mettre. La décoration du site a donc été fondamentale. Tout comme notre positionnement qui consiste à apporter une offre complémentaire à celle déjà présente dans le périmètre, à savoir : pas de primeur, pas de boulanger, pas de boucher… Histoire de ne pas se placer en concurrence frontale avec des commerçants réputés et établis depuis longtemps.

Mené avec minutie, le casting a permis de rassembler un spécialiste des produits corses, un épicier fin espagnol, un écailler, un fromager, un rôtisseur et un marchand de café répartis en autant de corners d’environ 15 m2 entourant l’espace commun où trône une table haute et quelques chaises permettant la dégustation sur place. Après quelques mois d’ouverture, Jérémy Depieds tire les premières leçons. Ouvert trois soirs par semaine, Le Marché Saint-Victor a réussi son implantation autour des apéritifs dégustations et la petite restauration commence à attirer un nombre important de fidèles à l’heure du déjeuner. Seule la vente au détail laisse encore à désirer. Une affaire de temps sans doute. De positionnement aussi et il n’est pas impossible que dans les mois qui viennent, un commerce laisse sa place à un autre.

Jérémy Depieds se donne encore un an pour réussir son pari (une initiative unique en France, sur ce modèle, à notre connaissance) et multiplie les efforts pour gagner en visibilité. Un triporteur devrait prochainement assurer les livraisons en ville. Et une vieille estafette Renault réaménagée permet depuis peu à l’ensemble des commerçants d’assurer un service traiteur à domicile. Un métier que Jérémy Depieds, propriétaire de quelques food trucks à Marseille sous l’enseigne « Le Panier à Salade », connaît mieux que personne. Avec ce service supplémentaire, Le Marché Saint-Victor pourrait bien assoir à tout jamais son concept original.

L’épicerie générale nouvelle génération – Fin avril 2015, tout Paris ne parlait que de cette ouverture : La Maison Plisson venait de voir le jour boulevard Beaumarchais sur 500 m2, rassemblant produits du marché, cave, épicerie fine, boulangerie, restauration et vente à emporter. Présenté comme une nouvelle alimentation générale de qualité, ce commerce très tendance doté d’une devanture particulièrement réussie a fait le buzz. Créé par Delphine Plisson issue du monde de la mode, l’adresse propose 3 000 références et de nombreux services sélectionnés et imaginés avec la complicité de quelques cuisiniers référents (tendance fooding) dont Bruno Doucet et Yves Camdeborde. Elle affiche par ailleurs un manifeste exigeant qui pourrait se résumer ainsi : « le goût avant tout ».

L’offre est donc résolument premium : elle revendique la traçabilité, la transparence et la passion de producteurs engagés, fiers de leurs savoir-faire. « Que ce soit pour des cornichons, des huiles d’olive ou de la pâte à tartiner, souligne le manifeste, il ne s’agit donc pas de faire du name-dropping ou de proposer uniquement des produits d’exception. La Maison Plisson, propose des produits reconnus comme excellents, élaborés de façon non industrielle, au prix le plus en phase avec une volonté de qualité au quotidien. » L’adresse se compose de deux espaces : une « halle alimentaire » de 300 m2 et un espace restauration de 200 m2. Il ne s’agit donc pas d’une épicerie fine à proprement parler, mais d’un concept qui englobe l’épicerie fine (sèche) avec quelques rayons dédiés installés au sous-sol du magasin. Au plan des originalités, la Maison Plisson propose quelques services inattendus comme la préparation (épluchage, découpe) des légumes achetés au rayon primeur alimenté par Alexia Charraire du Comptoir des Producteurs. Autre tendance intéressante : l’amplitude des horaires d’ouverture : de 8h30 à 21h.

À la conquête de nouveaux quartiers

L’épicerie fine n’est plus réservée à ce que l’on appelait autrefois les « beaux quartiers ». C’est ce que vient de démontrer en quelques mois, Rheda Zaïm, propriétaire d’un studio d’enregistrement dans le 19e arrondissement où il a ouvert, il y a trois ans et avec succès, un restaurant : « Ô Divin ». Située à quelques pas du restaurant et inaugurée il y a un an, sa néo-épicerie rétro du même nom (Ô Divin) a pris place dans les 25 m2 d’une ancienne triperie au 130 rue de Belleville, dans un périmètre où les commerces alimentaires jouent surtout sur les prix. Ici, dans cet espace qui a conservé sa trame originelle, on trouve 70 % de produits frais superbement sélectionnés (charcuteries, volailles, triperies, légumes…), une offre de sandwichs préparés à la minute (6 propositions par jour entre 5 et 6 €), une belle sélection de vins naturels et de produits secs, de l’épicerie fine assumée, de France pour l’essentiel mais également du bassin méditerranéen (Italie, Espagne, Grèce…).

Les prix pratiqués sont « justes », certes, mais plus élevés qu’à la supérette du coin pour des produits naturellement incomparables. Le pari était donc risqué : il a été gagné en quelques semaines. « Nous avons été surpris par le succès, reconnaît Rheda Zaïm, car nous ne savions pas ce que cela pouvait donner. La boutique était fermée depuis plus de six mois lorsque nous l’avons reprise avec mon frère. Nous avons réalisé le double du chiffre d’affaires espéré en ouvrant 7 jours sur 7 jusqu’à 21h ». Ce commerce qui évoque les épiceries d’antan par la simplicité des éléments mis en œuvre, est exclusivement concentré sur l’alimentation plaisir et l’originalité du sourcing. Au rayon légumes par exemple (sélection limitée à quelques fruits et légumes de saison) les tomates viennent de chez Joël Thiebault à Carrières-sur-Seine ; au rayon terrines, on retrouve les produits d’Alain Grezes. S’il envisage d’ajouter quelques produits en épicerie fine et une table, le commerçant est naturellement limité par l’espace. Pas pour longtemps cependant, puisqu’il ouvrira en octobre et à une cinquantaine de mètres, une boutique traiteur sous la même enseigne.

Les marques se théâtralisent – À l’opposé des néo-épiceries tendance bobo, les boutiques de marques poursuivent leur percée. C’est le cas de Maxim’s de Paris qui a ouvert sa première boutique de marque au printemps dernier au Carrousel du Louvre. Juste en face de la Maison du Chocolat et dans un périmètre où l’on trouve des enseignes référentes comme Maille, Pierre Hermé ou Kusmi Tea, l’essai s’avère d’ores et déjà concluant.

max_08« La période d’ouverture qui faisait suite aux attentats n’était pas simple car le Carrousel du Louvre est dépendant du trafic touristique, analyse Maxime Poisson, Directeur commercial de SAPP Maxim’s de Paris. » Une crainte qui est vite tombée avec les premières ventes qui, quatre mois plus tard, se révèlent prometteuses et dans les objectifs fixés. L’offre alimentaire premium qui rassemble ici l’ensemble de la gamme (200 références : thés, chocolats, foies gras, biscuits, champagnes…) et, en exclusivité : des macarons, des choux à la crème griffés du célèbre « M », des madeleines et des financiers a donc séduit. Avec un panier moyen oscillant entre 25 € et 30 € et une clientèle répartie entre touristes (85 %) et Parisiens (15 %), les perspectives de développement sont nombreuses. « Le pourcentage de Parisiens a augmenté de 5 % en quelques semaines, nous dit Maxime Poisson et nous avons bon espoir de voir cette part se développer, notamment avec notre offre en coffrets cadeaux qui sera présentée en boutique en octobre prochain. Nous sommes également satisfaits du succès rencontré par notre proposition en produits frais (pâtisseries) qui représente d’ores et déjà entre 15 et 20 % de notre chiffre… C’est d’autant plus rassurant que sur un produit aussi emblématique que le macaron, la marque Maxim’s démontre sa légitimité naturelle. »

L’impact de cette ouverture prestigieuse a déjà des répercussions sur l’ensemble des activités de l’entreprise. Une première épicerie fine Maxim’s de Paris devrait non seulement ouvrir à Dubaï début 2016 avec un opérateur local, mais en France, ce sont désormais les corners de la marque qui ont le vent en poupe. L’un d’entre eux a été installé au Mont-Saint-Michel, un second au Printemps Haussmann, des projets sont en cours de discussion avec Aéroports de Paris et l’entreprise pense d’ores et déjà à une seconde boutique parisienne en propre… « Sans doute dans un quartier moins touristique, précise Maxime Poisson. Les 35 m2 de Maxim’s de Paris au Carrousel du Louvre dessinent idéalement l’univers de notre marque et nous ouvrent de nouvelles perspectives. » L’ouverture prochaine de la galerie commerciale 7 jours sur 7 devrait en ouvrir davantage encore.

La franchise s’affirme – Installé comme producteur de produits chocolatés dans la Drôme Provençale depuis 2001, Richard Fournier développe, dans un genre différent, les boutiques sous sa propre marque : « Le Comptoir de Mathilde ». Le cercle des vingt boutiques déjà existantes devrait rapidement s’agrandir avec notamment l’ouverture de deux nouvelles enseignes à Paris d’ici la fin de l’année et un développement à l’international. Un dynamisme dû en partie à l’ouverture de la marque à la franchise : une tendance qui se développe dans le monde de l’épicerie fine et qui devrait – selon la récente étude Xerfi – progresser davantage encore dans les années à venir. L’annonce mi-juillet par Kusmi Tea d’une ouverture de sa marque à la franchise le confirme. Jusqu’à présent développées en succursales, les boutiques Kusmi Tea ne devraient plus tarder à être incontournables en France où une cinquantaine d’implantations sont prévues d’ici trois ans.

Des boutiques de chefs – Les boutiques de chefs ne sont pas une invention récente mais elles étaient plutôt réservées aux établissements pluri-étoilés, voire prestigieux comme les hôtels appartenant à la chaîne Relais & Châteaux. À quelques exceptions, ces coins boutiques s’assimilaient à des corners d’hôtel et – en plus de quelques spécialités (du chef ou régionales, d’alcools ou de vins prestigieux) – on y trouvait tout autant des cartes postales que du linge de bain, de la vaisselle et des articles de décoration. À présent, les chefs s’intéressent vraiment à l’épicerie fine et les exemples sont nombreux. Prenons le cas de Benjamin Lechevallier à Rouen : une étoile Michelin avec son restaurant « Origine », une brasserie nouvelle tendance (O Grand Café) et depuis quelques mois, une épicerie fine implantée dans un local indépendant : « Corner by Origine ».

Installé dans une ancienne boucherie de 26 m2, ce local a été acheté par opportunité parce qu’il se situait en face des deux établissements du chef « et que cela permettait de donner un nouveau visage à la place Cauchoise, précise Benjamin. » Chic, ludique et gourmande, la sélection du Corner (on y trouve des produits frais : charcuterie, produits laitiers) répond aux codes de l’épicerie fine contemporaine. Mais ce n’est pas toujours le cas. À La Butte (hôtel restaurant 1 étoile Michelin) à Plouider dans le Finistère, Solène et Nicolas Conraux planchent sur un tout autre genre d’épicerie fine. Elle verra le jour fin janvier 2016 et sera le point d’attraction d’un nouvel espace de restauration. « Notre hôtel s’agrandit de 12 chambres, précise le chef et nous nous devions d’élargir notre proposition en restauration. Ne souhaitant pas ouvrir un bistrot qui aurait pu concurrencer notre restaurant gastronomique, j’ai imaginé une nouvelle offre en épicerie fine dans un espace de 180 m2. On y trouvera un tiers de produits frais qui serviront de socle aux plats proposés dans ce lieu, avec notamment de la charcuterie bretonne et espagnole mais également des poissons fumés, l’idée étant de valoriser le produit brut de qualité. »

Les clients seront invités à se restaurer au cœur de l’épicerie fine au centre de laquelle sera installé un imposant comptoir circulaire délimitant deux zones à l’intérieur desquelles les repas seront servis. « La clientèle extérieure pourra également y faire ses courses, précise Nicolas Conraux. Notre gamme sera constituée de produits bretons pour répondre aux attentes de la clientèle de passage et de produits « étrangers » sourcés en France mais également au-delà (des produits japonais par exemple) pour satisfaire la clientèle locale très présente dans l’établissement. »

Venues d’ailleurs – Si l’épicerie fine italienne est particulièrement bien représentée sur l’ensemble du territoire, on ne peut pas en dire autant pour tous les pays. Et pourtant, au fil des créations, c’est une tendance qui tend à s’affirmer, davantage dans les grandes métropoles où le brassage des populations favorise les besoins de découvertes. Nous vous avions déjà présenté dans nos pages, différents concepts comme Dar Babouya qui, à Paris (rue de Charenton dans le 12e) s’est spécialisé dans les beaux produits d’Afrique du Nord : alimentation et arts de la table, mais il y en a beaucoup d’autres. Citons « Miam In Belgium » au Cap d’Agde, Workshop Isse pour le Japon et Affären pour la Suède à Paris et nombre d’épiceries russes entre Nice et Cannes, plus ou moins fines il est vrai !

La dernière ambassade gourmande et raffinée à avoir ouvert ses portes à Paris (La Caravelle des Saveurs) est dédiée au meilleur du Portugal. Située rue du Faubourg-Saint-Martin (10e), on y trouve d’excellents produits avec notamment une impressionnante sélection de boîtes de sardines aux couleurs attrayantes, de l’huile d’olive vierge-extra bio et divers produits sélectionnés avec goût. L’adresse dispose enfin d’une table qui permet de se restaurer d’une tartine ou d’un sandwich… Encore un clin d’œil à la petite restauration qui décidément, semble être l’une des tendances fortes de l’épicerie fine en cette rentrée 2015.

B.L

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