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Les tartinables salés ont le succès à la bouche

Portés par la vague de l’apéritif dînatoire, les produits tartinables suscitent l’engouement dans tous les circuits. Au côté d’autres commerces spécialisés, l’épicerie fine n’échappe donc pas au mouvement. Son challenge : disposer d’une offre qui, là comme ailleurs, doit nécessairement cultiver l’art du démarquage face aux GMS. Et visiblement, elle y parvient.

Nous sommes en 2007 à Paimpol, dans les Côtes-d’Armor et, à 45 ans, Yann Trebaol, patron de la société Breizh Cooking, vient d’avoir un sacré coup deflair. Sous la marque La Paimpolaise, il innove en effet avec une gamme de terrines gastronomiques 100 % naturelles issues de produits de la mer et en l’occurrence de tous les produits de la mer : poissons, coquillages, crustacés. « La tendance des tartinables était encore en phase émergente, explique-t-il a posteriori, mais j’ai senti que ce mode de consommation allait s’installer pour longtemps. Il y avait une place à prendre dans le haut du marché et nous avons pris position en misant dès le départ sur l’usage du toast apéritif. Personne ne communiquait alors aussi pleinement sur cet axe-là. » Allié à un bel esprit de créativité, le tour de main de cet ex-cuisiner va faire le reste.

Riche en 2014 de plusieurs dizaines de références hautes en saveur, le catalogue de La Paimpolaise réserve effectivement de belles surprises aux gourmets. On y relève ainsi, entre autres recettes originales : saint-jacques à la truffe, langoustine au foie gras & piment d’Espelette, daurade grise au gingembre, foie de lotte au lard fumé, berniques et rouget grondin au whisky, etc. Autant de produits qui, à raison de quatre ou cinq nouveautés par an, tournent maintenant en France dans plus de 700 magasins, sans omettre un développement naissant hors frontières : « L’idée n’a jamais été d’aller en grande distribution, qui n’est pas dans notre culture d’entreprise, commente Yann Trebaol, mais d’apporter à l’épicerie fine ou à la belle poissonnerie de centre-ville une offre à la fois artisanale, distinctive et de haute qualité.

Ce n’est d’ailleurs qu’à cette condition qu’on peut justifier l’écart de prix (de 30 à 40 % plus cher) avec le rayon du supermarché voisin. » Dont acte. Résultat, la conserverie réalise aujourd’hui 85 % de son activité via les tartinables de la mer, croissance non-stop à l’appui : + 15 % en 2013, idem probablement cette année.

AU POINT DE RENCONTRE DES NOUVEAUX RÉFLEXES ALIMENTAIRES.

Au-delà de son caractère pionnier en Bretagne, cette success story est en tout cas à l’image d’un phénomène « tartinable » qui a véritablement explosé au cours des dernières années. Les raisons sont multiples :

> les produits tartinables sont en phase avec la tendance très porteuse de l’apéritif dînatoire (voir étude IFOP en encadré) ;

> ils peuvent répondre à des usages multiples : sur toast à l’apéritif, le plus courant par conséquent, mais également en entrée de repas ou pour rehausser le goût d’un plat de pâtes ou d’un poisson grillé, pour agrémenter un pique-nique ou pour un en-cas rapide…

> simples d’utilisation, ludiques, festifs et conviviaux, ces produits de découverte collent aux attentes de la nouvelle génération ;

> hier cantonnée à la période estivale, la consommation de tartinables est de plus en plus linéaire et connaît même un pic de ventes sur la fin d’année grâce aux coffrets-cadeaux ;

> dopée par l’innovation (sur les saveurs, les textures, les formats… ), la diversité de l’offre permet de multiplier les plaisirs à l’envi ;

> avec un prix d’appel autour de 3 € en épicerie fine (mais jusqu’à 8 € et plus pour les recettes les plus sophistiquées), le tartinable reste enfin un produit gourmand accessible au plus grand nombre… tout en offrant au détaillant une marge appréciable (le coefficient multiplicateur moyen se situe dans une fourchette allant de 1,8 à 2,3).

Bref, sur le papier, le tartinable a tout pour plaire et ce sont les professionnels eux-mêmes qui le reconnaissent. Aux commandes de la société Le Comptoir, grossiste implanté dans l’Ain avec le commerce indépendant comme clientèle cible, Eric Véret résume bien l’ampleur dudit phénomène : « Nous étions au départ sur un marché d’offre, nous sommes aujourd’hui sur un marché de demande. L’avantage du tartinable est que c’est un produit jeune qui peut satisfaire tous les goûts et toutes les cultures, qui plus est, sans se compliquer la vie. Le commerce indépendant de qualité l’a bien compris, et tout le monde s’y met : l’épicerie fine bien sûr, mais aussi les cavistes via leurs nouveaux corners épicerie, les poissonniers, les torréfacteurs, les traiteurs, de grandes enseignes de jardinerie, etc. La dynamique est globale et elle est apparemment durable. »

UN ENVIRONNEMENT HYPER CONCURRENTIEL…

À l’instar de Marie de Metz Noblat, épicière de haut rang à Nancy (voir encadré), Sophie Cotte, caviste implantée dans le 12e arrondissement parisien (Le Jaja du Midi), a intégré le mouvement via la marque languedocienne Saveurs Sud. Elle confirme l’engouement des consommateurs : « C’est un vrai carton ! Les gens passent le soir après le travail, prennent une bouteille et demandent à l’accompagner avec quelque chose de bon, de simple et de convivial. Ils repartent avec une tapenade d’olives noires ou une crème à l’artichaut et au poivre blanc, et le lendemain ils en redemandent. »

Fort de tels constats, fort surtout de telles perspectives, le tartinable salé est dès lors l’objet de toutes les convoitises. Avec plus de 50 références à son catalogue, Alain Léon, p.-d.g. de la société varoise Savor & Sens, admet être dans une compétition de plus en plus bataillée : « Le marché est saturé de toutes parts, au niveau des fabricants comme au niveau des circuits. Le consommateur a du mal à s’y retrouver et il ne fait pas d’emblée la différence entre une tapenade vendue 1,70 € en GMS et celle à 5 € que propose l’épicerie fine de quartier. »

Pour tous les acteurs de ce circuit, y compris pour les plus importants (La Belle Iloise côté ouest, Coudène et autres Raymond Geoffroy côté sud), l’enjeu consiste donc à faire valoir de vraies et perceptibles différences avec l’offre du mass market : « L’authenticité, la naturalité et la dimension artisanale sont nos valeurs ajoutées, affirme Alain Léon. Il faut rester ferme sur cette ligne et se rapprocher le plus possible de l’esprit fait maison. »

… MAIS DE VRAIS ATOUTS DANS LE JEU DU COMMERCE TRADITIONNEL

Cela passe déjà par une extrême rigueur dans la sélection des matières premières, telle qu’on la revendique par exemple à l’Oliverie des Baronnies, tapenadier dans le Vaucluse depuis 1930, au très raffiné Domaine de Bois Gentil, signature de référence dans l’univers du tartinable haut de gamme, ou chez L’Épicurien, qui travaille ses tapenades sur la base d’une olive noire dénoyautée à la main.

Le second grand levier est celui de l’innovation : « Elle est le moyen de nourrir non seulement l’intérêt des consommateurs mais aussi de montrer notre dynamisme à nos partenaires distributeurs, explique Hugues Harri à la direction de l’Oliverie des Baronnies. Même si, en termes de ventes, le marché reste très ancré dans la tradition, nos clients sont friands de nouveautés. » Mais sur ce point, pas de problème, la réactivité et la créativité de ces structures (le plus souvent) à taille humaine sont rarement prises en défaut.

Troisième grand point de différenciation potentiel, le conseil à la vente. Et pour cause : savoir accompagner le détaillant, c’est optimiser les chances de séduire sa clientèle. Nombre de fabricants insistent sur cet aspect clé, tel Benoît Gandon, directeur général de L’Épicurien : « Il est impératif de donner au détaillant les bons conseils d’utilisation de nos produits, a fortiori sur les recettes les plus originales, et il est d’ailleurs prêt à les recevoir. S’il sait ensuite intéresser le consommateur, il sera forcément gagnant. C’est ce cercle vertueux qu’il nous faut travailler sans relâche. »

LA MER ET LE GRAND SUD EN PÔLE POSITION

Le juste emploi de ce marché en épicerie fine étant ainsi précisé, reste à savoir construire le bon assortiment. L’embarras du choix, on l’a vu, est total mais la construction type s’établit néanmoins de façon récurrente autour de trois grands piliers, avec à la clé une tendance qui privilégie plutôt les petits formats (90 g voire 125 g), mieux adaptés à l’esprit de découverte du consommateur et à son souhait de varier les plaisirs : Les tartinables de la mer.

Synonymes de naturalité et de bien-être, voire déculpabilisant sur le plan nutritionnel, ils restent au cœur de la demande « conso », même dans les régions où la culture poisson n’est pas développée. Les recettes méditerranéennes. Les goûts du Sud forment l’autre grand standard du marché, avec en pôle position toute la palette des tapenades ainsi que les bases légumes (tomates confites, artichaut, aubergine, poivron, oignon…), sans omettre les alliances fromagères développées notamment autour du chèvre. Les tartinables charcutiers.

C’est le 3e volet d’un assortiment type avec là aussi, pour l’épicerie fine, la possibilité de sortir des sentiers battus. Pour simple preuve, les « Recettes à Rémy » du lorrain Rillettes & Cie, une gamme qui a complètement revisité le sacro-saint concept des rillettes sur un mode à la fois premium, gourmand et 100 % original : rillettes à la mandarine ou au roquefort (nouveautés 2014), rillettes à la violette, à la bière brune et à la graine de moutarde, aux mirabelles, etc. Affaire à suivre, puisque les terrines (… à Rémy, toujours et encore) sont au programme 2015.

Bref, un assortiment qui vit avant tout dans la diversité et que l’innovation vient animer en permanence, puisque telle est aussi la règle en ce domaine : « Les gens, et par suite nos clients commerçants (à moins que ce ne soit l’inverse… ) restent globalement demandeurs des grands classiques, note Philippe Guigou, dirigeant de Sur le Sentier des Bergers, mais nous essayons néanmoins de les faire sortir de la tapenade en leur proposant de nouveaux assemblages, de nouveaux goûts. » D’une entreprise à l’autre, le cru 2014 s’annonce d’ailleurs à nouveau particulièrement novateur. Le tartinable salé n’a donc pas fini de surprendre, tant en termes de saveurs que de chiffre d’affaires et nul doute que l’épicerie fine saura être, elle aussi, au rendez-vous.

Guy Leray

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