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Le caramel au beurre salé, légende bretonne

Il était une fois un chocolatier de Quiberon qui, pour diversifier sa production, vers la fin des années 1970, aurait inventé le caramel au beurre salé. La Bretagne est certes un pays de légendes où fées et korrigans (ces petits lutins facétieux) veillent sur les petits enfants, mais on doit à la vérité de rappeler que le caramel d’abord, puis le caramel au beurre, ont une existence bien antérieure et des usages parfois insolites. On doit le caramel aux Arabes qui l’obtenaient en chauffant du sucre de canne (kora mochalla d’où caramelo en espagnol et portugais) et l’utilisaient aussi au harem comme crème dépilatoire !

L’Angleterre est parmi les premiers en Europe à créer le toffee qui se différencie du caramel par l’utilisation de beurre et parfois d’un peu de farine. Le caramel écossais (en anglais : butterscotch) est composé également de caramel et de beurre auxquels sont ajoutés, quelquefois, du sirop de sucre de maïs, de la vanille et du sel. Une recette de 1848 recommande de mélanger une livre de beurre, une livre de sucre et un quart de livre de mélasse (résidu de raffinage du sucre) et de faire bouillir l’ensemble.

Le Dictionnaire Universel de Cuisine Pratique de Joseph Favre (1894) donne quant à lui, la recette d’un caramel à la crème dans la composition duquel entrent un kilo de sucre, un quart de litre de crème double, une gousse de vanille et 125 g de beurre frais. Lorsque le sucre légèrement mouillé est au boulé, on doit ajouter le beurre, remuer à la spatule puis ôter la vanille et faire cuire au gros cassé. Boulé et gros cassé sont des indications de température de cuisson du sucre (à savoir 120° et 145°) que l’on doit impérativement respecter pour obtenir du caramel mou. L’usage du beurre avec le caramel est donc international et date au moins du 19e siècle. 

Mais le beurre salé ? Pour légitimer la spécificité bretonne du caramel au beurre salé, les communicants ont appelé à la rescousse Philippe VI, roi de France, qui en imposant en 1343 un impôt sur le sel (gabelle), aurait provoqué le remplacement du beurre salé par le beurre doux, sauf en Bretagne où la gabelle n’existait pas. L’argument fait sourire les historiens, car la Bretagne n’était pas la seule province exemptée de gabelle avant son rattachement à la couronne de France.

La perception de la gabelle en effet, n’était pas uniforme. On distinguait les pays de grande gabelle et de petite gabelle, et les provinces rédimées (exemptées à perpétuité par un règlement forfaitaire de la taxe, tels le Limousin, l’Auvergne, l’Angoumois, le Périgord, le Bordelais et la Guyenne). Les pays francs étaient également dispensés de tout droit de gabelle. Il s’agissait de la Bretagne, mais aussi du Boulonnais, de la Flandre, du Pays d’Arles, du Béarn, de l’Île de Ré et de quelques autres encore. Alors, la Bretagne, pays du beurre salé ? Oui, sans aucun doute, mais pour des raisons culturelles, sans qu’il soit besoin de justification historique spécieuse. 

Reconnaissons qu’aujourd’hui le caramel au beurre salé (breton ou non) s’est imposé dans toute la confiserie avec les crèmes, les crêpes, les fondants, les macarons, les tartelettes, voire le tiramisu ou le cheesecake et bien entendu, la glace. L’industrie n’est pas en reste qui a mis sur le marché des chips de pomme de terre avec base aromatisante « caramel au beurre salé » . À fuir, sans modération !

Jean-Claude Ribaut a signé chaque semaine dans Le Monde, du 8 octobre 1993 au 17 novembre 2012, une chronique consacrée à la table et au vin.

Chroniqueur du magazine Régal, il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages gastronomiques : Voyage d’un gourmet à Paris (2013), L’Oustau de Baumanière (2013), Rouge de honte (2011).

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